C'est un jour de janvier 1951,
à Oloron-Sainte-Marie,
c'est la naissance d'Armand,
Armand Taillé.
Il demeurera toujours très discret sur son enfance.
C'est un jour d'école,
un jour de 1963 ou 64.
Armand arrive dans notre classe,
à l'école primaire de Rouges, à Montauban.
Il vient d'être placé en famille d'accueil dans le quartier.
C'est un camarade souriant, discret, se mêlant peu à nos jeux.
Quelques 30 ans plus tard, évoquant tous deux ces moments partagés,
il se révélera avoir été un remarquable observateur de notre vie de gamins.
A 17 ans il obtient un CAP de menuisier, exerce ce métier pendant 13 ans environ,
dont 10 années dans une fabrique de meubles, à Montauban.
De ces années-là non plus, Armand n'aimera pas parler.
Il quitte l'usine en 1981.
Le temps retrouvé,
véritable richesse,
mais pour subvenir au quotidien,
c'est une autre chanson.
Armand vit dans une cabane,
sur les rives du Tarn,
dans un très grand dénuement.
Des jours très difficiles,
prés de deux années,
mais Armand ne sombre pas.
Un clin d'oeil à celles et ceux qui ont su l'aider.
C'est un jour de 1984 ou 85,
un jour de marché,
Place Lalaque ou Place Nationale.
Armand déballe quelques caisses,
remplies de petits riens, glanés de caves en greniers.
Il ajoute quatre sous à son allocation d'handicapé, récemment obtenue.
Les appartements, les voisins, les contraintes, c'est pas son truc,
ça lui fait peur.
Il retrouve le quartier de Sapiac, y habite un garage, près du stade de rugby.
Le lit dans la carriole,
les perruches en liberté,
et le bric-à-brac,
les trésors du chineur.
Malgré la vie en vrac,
le coeur au bout des doigts.
«ça, c'est pour les enfants!...»
Les enfants des copains,
les tous premiers dessins,
les tous premiers jouets,
des moulins, des camions,
des lits pour les poupées,
et puis nature oblige,
des nichoirs, des brouettes,
des mangeoires à oiseaux.
Tous ces objets, ce petit monde, mettront des années à peupler son étal.
Les marchés, encore et encore,
Armand y vend surtout des livres,
et offre à nos oreilles,
imités à merveille,
de nombreux chants d'oiseaux.
Tout doucement,
Armand trouve son rythme,
sa place dans la ville,
sa ville,
puis sur les routes,
menant ses attelages,
mobylettes et carrioles,
de foires en marchés,
de manifs en expos.
Armand s'est faufilé parmi nous.
Les persifleurs,
les pères fouettards du rêve,
il les ignore à présent,
même si, à quelque vacherie,
peut répondre un long et doux meuglement,
à quelque banalité,
un caquetage obstiné.
Ce sont des jours de 1993 ou 94.
Les mains pour embellir le monde,
la tête pour rêver.
Alors commencent les belles années,
commence la belle histoire d'Armand,
celle que connaissent tant de gens.
Etal de guingois,
chants d'oiseaux,
les gens qu'on aime,
qu'on salue,
qu'on photographie,
la nature,
qui console et nourrit,
et les poèmes, les dessins,
les peintures, les sculptures,
du bois, du plâtre, des chiffons,
du fer, en fil ou bien en boîte,
des femmes,
des avions,
des poules,
des cochons...
et les gens,
les badauds, les copains,
celles et ceux pour qui l'on glousse,
l'on coasse, l'on glougloute,
l'on roucoule, l'on cancane,
l'on sourit...
Et les farces d'Armand,
le téléphone sonne!
Armand vous a bien eu!
Et le scooter,
et la remorque,
les nichoirs, les miroirs,
les bijoux, les hiboux, les joujoux,
et les yeux des enfants
qui regardent ce drôle de type,
vêtu de nippes ou bien,
selon l'humeur,
blazer à écusson,
manches à mi-doigts,
gilet brodé et canotier.
Armand adore les chapeaux,
novembre ?...Chapka !...
Juillet ?... Sombrero
Ou bien le contraire.
Sourire désarmant,
Armand fait le clown,
Armand fait le jacques,
Armand peint l'océan,
puis l'océan du ciel,
puis il peint les étoiles,
Armand peint la girafe
et puis la giroflée,
puis il baye aux corneilles,
lézarde, écoute les sirènes.
Armand nous écrit.
C'est posé sur la table et l'écriteau nous dit:
«Souriez, vous êtes filmés »,
ou bien, superbe,
« Lire, écrire, rêver ».
Armand et les mots,
Armand et les images.
Il édite des feuillets:
«le canard », «le bourricot », « le moineau du pays »,
mots et images mêlés, pleins d'ironie et de fantaisie,
comme en écho à ce fabuleux diaporama,
il y a plus de 20 ans,
au café « la Strada »,
le bien nommé,
où Armand,
osant parler aux gens,
plein de candeur et de fierté,
commentait ses images:
«Des avions à Gandalou »,
«Des poules près d'Ardus »,
«La neige au bord du canal ».
Un sourire d'Armand.
Armand dans la vie,
Armand dans le monde,
Armand dans son monde,
se révèle à lui-même
et à qui veut bien voir,
un homme debout,
un bel et fier artiste,
d'un art que l'on dit brut,
qui d'abord réconfort
devient belle chanson,
et même chant profond,
car parfois on ne peut que froisser le joli,
que dire à sa façon
pour dire bien plus vrai,
pour dire bien plus beau
sans que ça sonne faux.
Mais pour ça faut du coeur,
et Armand en avait.
C'est un jour d'été.
C'est un jour du mois d'août 2009.
Armand fait le mort.
De l'école de Rouges à la Place Nationale,
de la Place Nationale à l'éternelle sieste,
toutes les amies, tous les amis, se joignent à moi,
une pensée pour Armand Taillé.
François Werlen. Janvier 2012
Note de l'auteur:
Comment évoquer Armand en avril 2015, sans un clin d’œil amical à la mémoire de Liza Avinenc, qui, de l'école de Rouges aux photos et articles de presse, sut nous parler du poète aux oiseaux.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
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